Perle 13 : Médor !

Publié le par kloopaysages

 

Quelques jours plus tard, Perle échoua sur une plage de sable fin, plancher d’une petite crique difficilement accessible à environ 15 m en contre-bas de la rive. Elle était venue violemment frapper un rocher, et l’éclaboussure, suivi d’une écume laiteuse l’avait projetée sur la partie la plus haute de la plage. La nuit avait inondé les Gorges, si bien qu’elle ne vit pas sur quoi elle s’installait jusqu’au matin ; la surface était fibreuse, textile, pileuse ; elle ne pouvait la définir ; c’était chaud et confortable, elle n’en demandait pas plus et s’endormit…

 

Ils avaient parcouru une distance qu’elle qualifia de convenable, quand Pétronia et son labrador Médor, arrivèrent aux abords des Gorges de l’Infernet. Jeune étudiante russe à Paris, elle avait décidé, pour ses quelques vacances que lui permettait le travail intérimaire dans un magasin, de visiter l’Isère à pied. Partit de Grenoble, elle avait remonté la rivière jusqu’à Broges ; puis par Les Adrets, à Prabert, elle laissa sur sa droite le Col des Mouilles et emprunta le chemin menant au Pas de la Coche. Des boucles blondes et une bouille ronde, elle ressemblait à ces poupées gigognes colorées ; Pétronia affichait une apparence joviale mais méfiante. On ne savait pas combien d’autres poupées elle abritait. C’est en redescendant vers Le Rivier d’Allemond, qu’elle rencontra René, notre guide savoyard. Elle eut du mal à retenir Médor, qui avait flairé des odeurs animalières sur ses habits et en aurait bien croqué. Ce labrador à la robe caramel était devenu le garde du corps de la jeune femme ; comme tous les chiens de cette race, il était vif et énergique, très bon nageur mais aussi bon chasseur… L’entrevue fut écourtée, mais il avait eu le temps d’apprécier sa plastique et lui avait offert sa gourde d’eau fraîche. Pétronia le remercia d’un sourire et se félicita d’avoir emmené son chien dans cette aventure. Elle poursuivit sa route par la Forêt de Burges dans laquelle Médor réussit à attraper un lapin, dont il se délecta. Il eut droit à un câlin de sa maîtresse car sa chasse prolongeait la durée des maigres provisions qu’elle avait emporté… Le dimanche 15 juillet, en fin de matinée, alors qu’elle approchait de Rochetaillée, au croisement de la D526 et de la N91, Médor se mit à aboyer très fort, et passa devant elle un cyclotouriste casqué orange, maillot assorti. Il ne l’aurait pas remarqué si le chien ne s’était mis à lui courir après. Il a pu ainsi faire admirer ses qualités de sprinter ; il lui a fallu 500 m pour distancer le labrador qui avait vu sur ses dodus mollets… Enfin d’après-midi, ils arrivèrent aux Gorges. Elle dénicha une petite crique en contre-bas, idéale pour passer une nuit tranquille à la belle étoile. L’accès y était difficile mais Médor assista la jeune russe dans la descente… Après un bon bain bien frais, elle se restaura de quelques biscuits et s’allongea sur le sable, fatiguée mais contente…

Cela faisait plusieurs heures que le soleil essayait vainement d’éclairer la crique, quand Perle se réveilla. Elle put s’apercevoir que sa couche était la queue d’un chien, un labrador, Médor. Surtout quand il émergea à son tour, mettant en branle son appendice caudale. Perle manqua d’être éjectée par le mouvement ; elle fut rattrapée par une autre goutte. – Germaine ? Mais que fais-tu là ? s’étonna-t-elle. – Dis, tu pourrais commencer par un bonjour ! répondit son amie ; je peux pas te raconter tout : quand on s’est quitté, j’était sur la chaussure de Sophia ; le lendemain, je me suis retrouvé sur les gants de René ; je l’ai suivi jusqu’à chez lui à Grenoble. Il travaille à la patinoire. Il m’a abandonné dans un coin sur la glace avec ses gants. Il nous a retrouvé, il y a quelques jours, avant de repartir guider des touristes dans les Sept-Laux ; on a croisé ce chien et sa maîtresse sur le Pas de la Coche. Au moment où il lui a donné sa gourde, j’en ai profité pour sauter sur le bouchon…

 

En fin d’après midi de ce lundi 16 juillet, Pétronia et Médor reprirent la route en direction de Briançon. Elle s’était laissée bercée par la Romanche, en lézardant sur un rocher au milieu de la rivière. Sa peau blanche ointe de crème protectrice en avait profité pour haler bien. Médor, après avoir joué un temps dans l’eau, avait rejoint la plage, à l’ombre d’un châtaigner. C’est vers 20 heures qu’ils arrivèrent à l’auberge Le Siamois d’or, les jambes lourdes et des crampes d’estomac. Elle n’avait pas beaucoup d’argent mais suffisamment pour se payer un bon repas et un lit confortable. Elle hésita à entrer craignant de se voir refuser l’accès à cause de Médor. Mais l’envie était trop forte et elle poussa la porte…

Patrick en avait tombé ses couverts ; l’apparition de la jeune femme dans le Hall d’accueil avait réveillé ses ardeurs romantiques, en berne depuis le départ. Mais très vite, une angoisse survint quand il aperçu le coursier canin à ses côtés. Trop pressé d’échapper aux mâchoires labradoriennes, il n’avait pu voir son propriétaire. La jeune femme parlementait avec Bruno, l’un des jumeaux, qui ne semblait pas apprécier la présence du duo dans son établissement. Du haut des ses 1m89, Patrick n’écoutant que son courage et ses ardeurs romantiques se leva et se dirigea vers le trio afin de venir en aide à la jeune russe. C’est alors que Médor le reconnut ; sur le point de bondir sur la cuisse du coureur, son flair le rappela à l’ordre et il vint lui faire la fête signifiant des retrouvailles familières. Pétronia embraya l’intelligence de son compagnon et s’écria en regardant cet homme providentiel : - Tonton !


Patrick, après s’être porté garant auprès de l’aubergiste, avait invité la jeune femme à sa table. La moustache frétillante et l’œil guilleret, il utilisait son charme ( ou son hêtre ) pour la séduire ; mais il gardait l’autre œil sur Médor qui lorgnait toujours sur les mollets de notre champion des cols du dimanche… Pétronia avait remercié vivement son pseudo tonton providentiel ; bien que sensible à l’être ( ou son charme ) masculin qu’il lui présentait, elle n’avait pas l’intention de lui succomber à la tentation, car elle devait rejoindre sa tante à Sion. C’est du moins le motif qu’elle lui avait donné pour justifier son escapade. Il avait répondu par cette blagounette : savez-vous pourquoi il y a beaucoup de boite de nuit à Sion ? Parce que c’est là qu’on danse à Sion… Ah ! Ah ! Ah ! ( la condensation ). Elle avait esquissé un sourire de politesse et avait renchéri : savez-vous pourquoi les hommes sont moches en sortant des ces boites ? Parce que ceux sont des boites de laids qu’ont dansé… Ah ! Ah ! Ah ! ( lait condensé ) ... 1 partout la balle au centre de la table.

Perle et Germaine, nos deux gouttes, toujours installées sur la queue de Médor commençaient à trouver la situation ennuyeuse. Conscientes que ce chien ne les emmènerait pas loin, elles décidèrent de le quitter à la première occasion. Elle se présenta au cours du repas, quand Patrick aventura sa jambe droite sous la table à la recherche d’un éventuel peton russe. Mais hypnotisé par sa nouvelle rencontre, il avait oublié le labrador couché aux pieds de sa maîtresse. Les orteils sandalisés vinrent caresser la queue du chien ; nos deux gouttes en profitèrent pour s’accrocher à un poil de la cheville, juste avant que l’animal ne se rende compte de l’invasion de son territoire. Machinalement comme il l’aurait fait pour une puce, il vint lécher sa queue ( eh oui, messieurs, il peut le faire lui ! ) d’un grand coup de langue bien rappeuse et baveuse de la potée auvergnate qu’il venait d’avaler. Vous imaginez la surprise de notre dom juan sentant sur ces doigts de pieds, le passage de trente limaces gluantes ! Par reflex, il retira promptement sa jambe, ce qui occasionna un mouvement de panique sur la tablée, faisant choir verres et carafe de vin ; la nappe immaculée s’orna rapidement d’une arabesque carmine qui chemina jusqu’à la rive russe pour plonger sur l’unique pantalon de la jeune femme. S’en suivit une embardée caucasienne ; Médor, croyant à une attaque, se rua sur Patrick et put enfin déguster son mollet gauche. Pétronia eut juste le temps de le rattraper avant qu’il n’entame la chair… Le calme revint  quand les deux patrons sommèrent la jeune femme de choisir entre son chien et son tonton. Elle s’excusa de l’incident et sortit de l’auberge pour reprendre son chemin à la recherche d’un environnement plus accueillant. Décidément le monde des humains lui était indigeste… Les dents du canidé n’avaient pas mordu que le mollet, elles avaient broyé son cœur et ses ardeurs romantiques. Il se réconforta avec la serveuse de l’établissement, qui lui pansa la blessure et le soulagea de ses maux…


Publié dans Ecritures

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